La Coopérative ouvrière réunionnaise, figure historique du paysage portuaire insulaire, traverse aujourd’hui une période critique. Née d’une volonté collective de donner aux Réunionnais un rôle actif dans la gestion de leur principal outil économique, elle fut longtemps perçue comme un symbole d’autonomie et d’émancipation. Mais après plusieurs décennies d’existence marquées par des luttes, des succès et des crises, la structure ne tient plus qu’à un fil.
Le changement de gouvernance intervenu fin 2024 a accéléré la fragilisation d’une organisation déjà affaiblie par des pertes financières récurrentes. Loin de ses ambitions originelles, la coopérative peine désormais à défendre sa place face à des acteurs internationaux puissants, mettant même en péril sa survie. Ce déclin résonne comme la fin d’un cycle : celui où les Réunionnais pouvaient encore revendiquer une certaine maîtrise sur leur port et, à travers lui, sur une partie de leur destin économique.
La disparition progressive des autres acteurs locaux a scellé la domination des multinationales. Jadis, quelques familles réunionnaises, héritières d’un système mis en place dès l’époque coloniale, se partageaient le contrôle du marché. Leur influence, bien que marquée par des logiques oligopolistiques, assurait une forme de continuité et d’ancrage territorial. Mais en moins de vingt ans, ces groupes familiaux ont cédé sous la pression des milliards investis par les armateurs internationaux. La Réunion est ainsi passée d’un modèle familial concentré à une situation de dépendance quasi totale vis-à-vis des grands groupes étrangers. Dans ce basculement, la Coopérative ouvrière apparaît comme le dernier bastion local, vestige d’un temps où la voix réunionnaise pesait encore dans les négociations stratégiques.
Au-delà de sa portée symbolique, l’avenir de la coopérative soulève des enjeux cruciaux. Le port reste en effet le cœur battant de l’économie réunionnaise : plus de 95 % des marchandises qui nourrissent, habillent et équipent les habitants y transitent. Chaque container, chaque cargaison qui y débarque conditionne directement le quotidien de la population. "Que cet outil vital soit désormais placé sous la coupe d’intérêts extérieurs interroge la capacité de l’île à préserver une autonomie économique minimale. L’équilibre fragile de l’approvisionnement, dépendant des fluctuations mondiales et des décisions de groupes étrangers, expose la société réunionnaise à des risques accrus", soutient un opérateur économique local.
"Le cas du maritime ne constitue pas une exception. Il illustre au contraire une tendance plus large : la perte progressive de contrôle des Réunionnais sur leurs secteurs stratégiques. L’aérien, autrefois dominé par des initiatives locales, est passé sous pavillon extérieur. La grande distribution, moteur de la consommation, est désormais concentrée entre les mains de groupes métropolitains et étrangers. Même les télécommunications, longtemps présentées comme un vecteur de modernité, n’échappent plus à cette logique d’intégration à des ensembles internationaux", fait remarquer pour sa part Yves Robert, ancien cadre d'une compagnie d'assurance et observateur averti de la vie socio-économique de l'île.