Située à quelques dizaines de kilomètres d’Aldabra, célèbre sanctuaire inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, l’île d’Assomption est depuis quelques semaines au cœur de débats passionnés alors que se tient aux Seychelles le second tour du scrutin présidentiel.
Ce territoire isolé, considéré comme l’un des derniers joyaux écologiques de l’archipel seychellois, fait désormais l’objet d’un projet d’hôtel de luxe confié à un investisseur étranger. Une initiative qui soulève une vague d’indignation parmi les scientifiques et les défenseurs de l’environnement. Des images diffusées sur les réseaux sociaux ont mis le feu aux poudres : on y voit des tortues blessées, des engins de chantier et des débris sur une plage autrefois intacte. Ces scènes ont profondément choqué l’opinion publique et la communauté scientifique.
« À notre connaissance, il n’y a personne pour vérifier ces travaux ou s’assurer que les incidents soient rapportés », déplore Gérard Rocamora, directeur scientifique à l’Université des Seychelles et président du Island Biodiversity Conservation Centre. Selon lui, la perspective d’un complexe touristique à proximité d’Aldabra fait peser de graves menaces sur l’équilibre écologique de la région. Le principal danger, avertit le biologiste, réside dans le manque de contrôle et de transparence autour du chantier. Les matériaux importés, les plantes ornementales et les engins de construction représentent autant de vecteurs potentiels d’espèces invasives susceptibles d’altérer durablement l’écosystème local. « Ces risques ne sont pas théoriques, insiste-t-il. Il faut des protocoles stricts de biosécurité pour empêcher toute introduction d’espèces envahissantes. »
Face à la montée des critiques, le gouvernement seychellois a assuré que la Seychelles Islands Foundation (SIF), qui administre Aldabra, collaborerait avec les constructeurs pour minimiser l’impact environnemental. Un plan de biosécurité aurait été rédigé par la Island Conservation Society, mais son application reste floue. « On ne sait pas dans quelle mesure il est réellement suivi », regrette Gérard Rocamora, inquiet d’un manque de suivi sur le terrain. Pour le scientifique, le problème dépasse la simple question de gestion : c’est l’emplacement même du projet qui pose problème. L’hôtel, bien que limité à une portion réduite de l’île, affectera directement les zones les plus précieuses, notamment la vaste plage d’Assomption, l’une des plus grandes et des plus belles des Seychelles. Ces zones constituent un habitat essentiel pour la reproduction des tortues vertes, dont les pontes nocturnes risquent désormais d’être perturbées par la présence humaine, les vibrations et les lumières artificielles.
L’île, autrefois victime d’une exploitation massive sous la colonisation britannique — jusqu’à 300 tortues y étaient tuées chaque nuit —, peine encore à se relever de ces destructions passées. Le biologiste craint que la construction de ce complexe hôtelier ne compromette définitivement toute chance de restauration écologique : « Avec un hôtel sur cette plage, je crains qu’elle ne puisse jamais retrouver ce qu’elle était », confie-t-il. Entre promesses de développement touristique et préservation d’un patrimoine naturel unique, l’île d’Assomption incarne aujourd’hui le dilemme auquel sont confrontées de nombreuses petites nations insulaires : comment concilier croissance économique et sauvegarde de la biodiversité dans un monde où les écosystèmes intacts se font de plus en plus rares.
